Dans le cadre de la résidence du trio MOAB et du concert sortie de résidence le jeudi 13 février à l’AJMi, nous avons eu le plaisir d’interviewer Fiona Aït-Bounou pour comprendre les racines de ce projet. Nous l’avons invité à l’AJMi mardi 28 janvier pour échanger. De son histoire personnelle, aux rencontres musicales qui jalonnent son parcours, Fiona nous livre ce récit à la fois intime, collectif et pluriel.
Peux-tu te présenter et nous présenter ton parcours musical ?
Fiona : Je m’appelle Fiona Aït-Bounou, je suis chanteuse et professeure de chant, j’aime bien le préciser parce que la pédagogie a une place importante dans ma vie, c’est une passion au même titre que de chanter et de transmettre. J’ai été en tant que chanteuse, formée au Conservatoire du Grand Avignon et j’ai très vite été touchée par le jazz et les musiques improvisées, par la liberté et en même temps l’exigence qu’elle demande. J’aime beaucoup aussi les musiques du monde, la musique classique, la pop, le rock… J’aime vraiment vraiment la musique, j’aime la création et je peux être facilement touchée par n’importe quel style de musique à partir du moment où je sens qu’il est travaillé et engagé. Et c’est comme ça que j’essaie de faire ma musique depuis quelques années, quels que soient les projets, qu’ils soient plus jazz ou dans des sonorités plus ouvertes.
Quel est ton rapport à la musique ? Es-tu compositrice, interprète ? As-tu d’autres casquettes ?
Fiona : J’ai un quintet de swing qui s’appelle le “swing crazy band” dans lequel on fait principalement des reprises swing, blues… Ça s’appelle ‘swing crazy band” donc dans l’idée c’est quelque chose d’assez intense, d’assez joyeux, d’assez fou. Le swing comme on se l’imagine qui donne envie de se lever et de snaper. J’ai aussi un duo avec une harpiste, Mathilde Giraud, avec qui jusqu’à présent on faisait surtout des reprises de standards de jazz qu’on adaptait à la harpe. Récemment on est en train de travailler sur un nouveau répertoire de création dans lequel Mathilde joue de la harpe. On compose toutes les deux. On y mettrait aussi de la harpe électrique pour avoir des sonorités différentes. Moi dans ce projet je chante, j’écris des textes et je vais aussi jouer un peu de clavier.
Tu présenteras Moab le 13 février prochain à l’AJMi, qui est un projet personnel. Que signifie Moab et comment est né ce projet ?
Fiona : Et bien ce projet comme tu l’as dit est très personnel, c’est la première fois que je vais présenter sur scène des compositions qui sont uniquement de moi, de bout en bout. Je ne suis pas complètement seule, parce qu’il y a les autres musiciens qui ont vraiment investi le travail d’arrangement et qui ont emmené les morceaux au-delà de ce que j’espérais. Parce qu’ils sont super et qu’ils ont compris ce que je voulais, qu’on cherche tous ensemble. Parce qu’il y a aussi quelques textes en français qui ont été écrits par Émilie Mouret, qui écrit des textes magnifiques et qui a réussi à entrer dans ma tête, pour rendre poétique quelque chose qui ne l’était pas au départ. Les mélodies, les sons captés qui sont diffusés sont de moi. Il y a des textes en arabe qui sont aussi de moi. Ce projet est né de ma problématique pendant longtemps à trouver ma voix. Parce que quand je faisais du jazz on me disait “ah tiens c’est drôle on entend que tu viens du classique” alors que je ne viens pas du tout du classique. Quand je faisais du classique, parce que j’ai commencé le classique, on m’a dit “ah ça s’entend que tu viens du jazz” alors que je ne viens pas non plus du jazz. Les premières musique que j’ai chantées et entendues c’était plutôt de la pop et de la chanson française. Et quand j’ai commencé à improviser on m’a tout de suite dit “ah tiens ça s’entend que t’as des origines marocaines”. Et là je me suis dit “ah tiens pour la première fois on me dit un truc qui est vrai, j’ai des origines marocaines”. Sauf que je les avais jamais assumées. Ni dans la vie ni dans ma musique. Et quand j’ai commencé à creuser, ça a été un long chemin de reconnexion à une part de moi qui était complètement niée. Et donc j’ai eu envie de composer, ça a été une nécessité. Je suis allée au Maroc pour la première fois de ma vie et ça a généré beaucoup d’émotions. Et comme souvent quand on est musicien, peintre ou dessinateur, il fallait que ça sorte. Et chez moi ça sort en musique. J’ai eu envie de les partager parce qu’à la suite de ça j’ai participé à des projets, notamment avec des jeunes en réinsertion. Je me suis rendue compte que j’était pas la seule à avoir des difficultés à trouver ma voie ou ma place en étant dans une double culture. Particulièrement quand on vient de l’Afrique du nord à la France. Je me suis dit que c’est un sujet que j’avais envie d’explorer et de partager. Et donc “Moab” c’est à la fois très ouvert et très personnel. “Moab” en fait parce que mon histoire part de là, je suis d’origine marocaine du côté de mon père. “Moab” c’est la contraction du prénom et du nom de mon père. C’est aussi un lieu aux États-Unis qui est assez magique. Qui est dans le parc national des arches, qui fait un peu comme un grand désert rocheux où des gens du monde entier vont voir des coucher de soleil. Je trouvais que symboliquement c’était très beau.
Comment as-tu rencontré les autres musiciens et comment avez-vous travaillé ce répertoire ?
Fiona : Concernant Franck Lamiot qui est au clavier, c’est quelqu’un que j’avais rencontré sur un autre projet, dans lequel j’étais simplement choriste et j’avais été très impressionnée par sa capacité à s’adapter tout en mettant sa touche, sa patte personnelle. Je m’étais dit “ah tiens il y aura quelque chose à faire avec lui” et quand j’ai voulu lancer MOAB, j’ai fait une répétition juste avec lui pour voir comment ça sonnait, où est-ce qu’il emmenait mes propositions et j’ai trouvé ça très intéressant, très inspirant. Parce qu’à chaque fois que je sortais d’une répet’ avec lui j’avais envie d’aller plus loin, ça générait encore plus d’envies, je me suis dit que c’était la bonne personne.Cédric, c’est un batteur que j’admire beaucoup qui est très polyvalent. Quand je lui ai proposé le projet je ne pensais pas qu’il accepterait, parce qu’il joue dans des tas d’autres projets et ce qui l’a poussé à dire oui, au départ c’est la dimension jazz orientale, parce qu’il a beaucoup travaillé les percussions et les rythmes d’Afrique du Nord. Donc ça l’intéressait d’amener ça au projet et en fait, Cédric c’est un batteur qui, comme beaucoup de musiciens, à les oreilles grandes ouvertes et est capable de faire des propositions harmoniques. Il est pas uniquement centré sur son instrument. Il est beaucoup dans la texture sonore au pad et pareil, à la première répet’ j’ai tout de suite senti que c’était idéal, parce qu’il peut à la fois répondre à toutes mes envies et en même temps les emmener ailleurs. Ce que j’aime dans le travail de création, c’est que si on est trois, j’aime bien que chacun y mette sa touche, que ce soit multiple, de part toutes les personnalités qui incarnent le projet quoi.
C’est au fur et à mesure des répétitions que vous avez agrémenté tes morceaux et que chacun y a mis sa patte ?
Fiona : Oui, on va terminer ce travail pendant la résidence de l’AJMi. Ce qu’on va présenter à l’AJMi ça va être une sortie de résidence. On sait déjà qu’on fera une autre résidence ensuite, on aimerait beaucoup qu’elle soit au maroc pour continuer à alimenter les ambiances sonores que l’on propose dans le projet. Il y a déjà des sons du Maroc dans le projet, mais on voudrait qu’il y en ait plus. Donc c’est pas terminé, c’est encore en chemin. Je pense que ça va être encore en chemin pendant un moment mais en tout cas, chaque rencontre génère de la matière et alimente les compositions et les sublime. C’est ça qui me touche, lorsque que chaque rencontre sublime les mélodies et la narration. Parce que c’est un projet qui raconte une histoire et ils l’ont bien compris, et tout ça porte vraiment le propos autour de l’identité culturelle, de comment on peut se perdre quand on est à cheval entre deux cultures. Rien qu’avec la musique je trouve qu’ils arrivent très bien à le porter.
Pourquoi ce projet t’est-il cher ?
Fiona : C’est à la fois personnel et pas personnel, c’est quelque chose dont on parle très souvent en répétitions. Justement parce que ce qui m’est cher c’est de rester multiple, et d’accepter d’être multiple. Pas que dans sa personnalité, mais aussi dans ce qu’on fait ensemble. Parce qu’on est dans une société dans laquelle si l’on entre pas dans une case, on est dispersé, on propose quelque chose qui ne se tient pas, il n’y a pas de fil conducteur parce qu’il y a plusieurs couleurs. Or, dans “Moab”, ce qui m’intéresse au niveau sonore, au niveau musical, c’est de rester multiple. C’est de faire en sorte que ce ne soit pas que du jazz ou que des musiques orientales, ou que du rock. C’est qu’on entende tout ça à la fois. C’est que toutes ces sonorités se mêlent. Que parfois il y en ai une qui prenne le dessus, mais qu’elles existent toutes entre elles et que le fil conducteur, ce soit nous les musiciens et les sons qu’on propose. Parce qu’il y a ma voix, qui est toujours la même de bout en bout même si j’explore différentes textures sonores. Au clavier c’est pareil, il explore des tas de choses mais ça reste lui, son jeu, sa dynamique, ses sons, donc je tiens vraiment à ça. Ça arrive souvent en répétition, qu’un son apparaisse et qu’on se dise “qu’est ce que ça vient faire là ça parce que c’est tellement différent du reste”. On sort d’une improvisation d’un quart d’heure et d’un coup il y a ça qui émerge, c’est peut être pas un hasard. Comment on s’en sert ? Est-ce qu’on le met de côté ou est-ce qu’au contraire on trouve un moyen de l’intégrer au reste ? Parce que c’est ça la vie, on est tous multiples, on vit dans un monde multiple, y a aucune raison que tout se ressemble.
Comment te sens-tu à l’idée de présenter ce projet à l’AJMi ?
Fiona : Il y a plein de choses qui se bousculent. Je suis très touchée parce qu’en plus, ayant été élève au conservatoire, c’est sur cette scène que j’ai passé mes examens. C’est sur cette scène que j’ai vibré en jazz les premières fois. C’est sur cette scène que j’ai vu Eivind Aarset qui est un instrumentiste que j’adore. Donc je me sens très honorée, très touchée, un peu stressée, mais en même temps en confiance parce que j’ai beaucoup travaillé et j’ai toujours en tête que de toute façon, que ce soit à l’AJMi ou ailleurs, on peut pas plaire à tout le monde mais on peut aussi plaire à beaucoup de gens. Donc j’irai comme sur n’importe quelle scène avec l’envie de partager et de donner ce que j’ai à donner.
Pour finir, est-ce que tu as un petit mot à nous partager pour parler de ce projet et de ce moment qu’on va partager, que tu ne pourrais peut-être pas dire en musique sur scène ?
Fiona : Ce que je peux dire c’est que si les gens sortent en ayant l’impression d’avoir fait un voyage à la fois sur des terres inconnues et en même temps sur des terres qui leurs sont chères, j’aurais gagné mon pari.
Retrouvez MOAB sur scène le jeudi 13 février à 20h30 à l’AJMi. Réservations fortement conseillées. Billetterie en ligne directement accessible depuis la rubrique agenda du site. Infos et contact : info@ajmi.fr ou 07 59 54 22 92.